La saisie-arrêt bancaire en Algérie est-elle régie par le droit commun ou par un droit spécial ?[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] La saisi-arrêt bancaire (consacrée par la LMC 90/10 et confirmée par l'ordonnance 03/08 modifiant la LMC) et plus précisément sa portée et sa validité constituent toujours une "pomme de discorde" entre juges et banquiers.
Un article intéressant, que l'on peut télécharger sur le site Financemediterranee, traite de cette épineuse question. L'auteur, Hideur Nasser, y défend la position des banquiers tout en appelant à plus de précaution dans le recours à la saisie-arrêt bancaire
Les derniers remous qui ont secoué certaines banques de la place, incitent à relancer le débat sur la problématique du recouvrement bancaire dans toute son acuité, sans occulter, celle, non moins importante, du contrôle interne, dont les déficiences sont à l'origine de la majeure partie de ces dérives.
Problématique du recouvrement bancaire
L'activité de distribution de crédit étant assortie de risques, il est dans l'ordre des choses que de nombreux concours accordés à la clientèle des banques et des établissements financiers ne fassent pas l'objet de remboursement, soit dans les délais requis, soit du tout. Ces défaillances peuvent être le résultat de circonstances objectives et conjoncturelles auxquels cas des arrangements amiables entre l'institution créancière et le débiteur peuvent permettre la récupération totale ou partielle de la créance notamment à la faveur d'un ré-échelonnement ou d'une restructuration de l'endettement. Elles peuvent aussi procéder de cas d'insolvabilité totale eu égard à l'échec du projet financé, par exemple, et la banque n'a d'autre choix, alors, que de réaliser les garanties dont
elle dispose. Dans une économie de marché, les entrepreneurs doivent, en effet, assumer seuls les conséquences de leurs échecs et ce n’est pas aux banques ni aux autres créanciers de l'entreprise, d'ailleurs, d'en payer les frais. Enfin, la banque peut se trouver devant des situations de mauvaise foi caractérisée où des débiteurs indélicats détournent carrément les crédits obtenus, souvent vers d'autres institutions pour les utiliser à d'autres fins.
C'est pour doter les banques et les établissements financiers de moyens légaux à même de leur permettre de faire face à ces situations et de récupérer leurs fonds par des procédés souples, accélérés et efficaces, que le législateur leur a conféré certaines facilités et privilèges par rapport aux autres créanciers. Parmi, ces instruments spécifiques de recouvrement forcé des créances impayées, celui de la saisie-arrêt bancaire.
La saisie-arrêt bancaire en tant qu’outil de recouvrement :
Les différentes lois bancaires qui se sont succédées en Algérie ont, toutes, consacré et suivant une formulation presque identique, un privilège spécial accordé aux banques et aux établissements financiers, avec possibilité de l'exercer dés notification de la saisie-arrêt, par lettre recommandée avec accusé de réception, au tiers débiteur ou au tiers détenteur.
L'Article 121 de l'ordonnance 03/08 du 26 août 2003 abrogeant et remplaçant la loi 90/10 du 14 avril 1990 relative à la monnaie et le crédit dispose : « Pour garantir le paiement en capital, intérêts et frais de toutes créances dues aux banques ou aux établissements financiers ou qui leur sont affectées en garantie et de tous les effets qui leur sont cédés ou remis en nantissement, de même que pour garantir l’exécution de tout engagement à leur égard par caution, aval, endossement ou garantie, les dites entreprises bénéficient d’un privilège sur tous biens, créances et avoirs en compte. Ce privilège prend rang immédiatement après ceux des salariés, du Trésor et de caisse d’assurance sociale et s’exerce à partir :
-De la notification, par lettre recommandée avec accusé de réception, de la saisie au tiers débiteur
ou au détenteur des biens mobiliers, créances et avoirs en comptes ;
-de la date de mise en demeure faite dans les mêmes formes dans les autres cas. »
Sur le fondement de cette disposition légale, les Etablissements de crédit ont toujours recouru à l’émission de saisies-arrêt par lettres recommandées avec accusé de réception sur les avoirs en compte de leurs débiteurs auprès des confrères. Cette saisie produisait les mêmes effets que la saisie-arrêt de droit commun prévue par le code de procédures civiles à savoir la déclaration, positive ou négative, par le tiers saisis, des actifs saisis entre ses mains et l’ouverture d’une procédure d’attribution ou de validation. Il est vrai que pour ce qui est de cette dernière, les pratiques sont divergentes : Tantôt elles sont engagées devant le juge de fond tantôt devant le juge
des référés, tantôt-mais rarement-devant le juge d’exécution. Sous l’empire de l’ancienne loi bancaire de 1986, les établissements de crédit ne rencontraient pas de problèmes majeurs pour faire valoir le principe dérogatoire au droit commun de la saisie-arrêt bancaire. Des décisions d’attribution ou de validation étaient régulièrement rendues en leur faveur lorsqu’elle remplissait les conditions de validité requises par la loi bancaire.
Mais on assiste depuis quelques années à un revirement dans la perception de cette pratique par les institutions judiciaires. La disposition légale susévoquée donne en effet lieu à une lecture divergente entre les banquiers et certaines juridictions quant à sa portée et ses modalités d’application. Au sein même des instances judiciaires ayant eu à connaître des litiges portant sur des saisies-arrêts lancées par des banques et des établissements financiers, des décisions contradictoires ont été rendues dans des cas similaires. La controverse a été récemment relancée par la prise de position de la Cour suprême, à l’occasion d’un arrêt rendu le 11 avril 2000, consacrant
l’interprétation restrictive de cet article et remettant en cause, de ce fait, une pratique bancaire usitée depuis près de quarante ans.
L’objet de cette modeste contribution est d’exposer la teneur et les répercussions juridiques de ce débat sur l’activité bancaire, notamment en matière de recouvrement de créances. Nous y exposerons les arguments des uns et des autres sur le fondement légal de cette pratique en tentant d’apporter des éléments de réponse à la question de savoir si la saisie-arrêt bancaire en Algérie est régie par le droit commun ou par un droit spécial.
Position de certaines juridictions :
La tendance actuellement dominante au sein de nombreuses juridictions reconnaît aux banques et aux
établissements financiers la qualité et le rang de créancier privilégié tout en leur déniant le droit de pratiquer directement la saisie-arrêt par voie de lettre recommandée avec accusé de réception.
Cette lecture a été confortée par l’arrêt rendue par la Cour Suprême en date du 11 avril 2000 (Chambre Commerciale et maritime). Dans cet arrêt, la haute juridiction a infirmé un arrêt de la Cour d’Alger confirmant un jugement de première instance rejetant une demande de main-levée sur une saisie-arrêt pratiquée par une Banque de la place sur les comptes d’un débiteur défaillant. La chambre commerciale et maritime de la Cour suprême a estimé qu’avant de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de main-levée elle-même, la juridiction d’appel aurait dû statuer sur la validité de la saisie-arrêt pratiquée par la banque en vertu des dispositions de l’article 175 de l’ancienne loi sur la monnaie et le crédit devenu l’article 121 de la nouvelle loi. Et d’affirmer que ledit article confère aux banques, certes, le rang de créancier privilégié de quatrième rang mais ne leur donne nullement le droit de saisir-arrêter les avoirs de leurs débiteurs d’autorité en vertu d’une simple lettre recommandée avec accusé de réception.
Les partisans de cette appréhension restrictive de la portée de l’article 121 soutiennent qu’en dépit du caractère spécifique et stratégique indéniable de leur activité, les banques demeurent des sociétés commerciales régies par les dispositions du droit commun. Ils ne voient, dès lors, aucune raison pour qu’un commerçant, quelle que soit son importance ou son rang, s’arroge le droit de saisir d’autorité et sans autorisation du juge les avoirs d’un autre commerçant dusse-t-il être son débiteur avéré.
Pour préserver leurs intérêts, les banques n’ont qu’à user des voies légales de droit commun, notamment en matière de saisies. Ce n’est qu’une fois leur créance reconnue et validée par les juges que ces Institutions peuvent faire jouer leur qualité de créanciers privilégiés pour obtenir paiement par priorité à d’autres éventuels créanciers d’un rang inférieur.
Point de vue des banques
Les banques estiment que l’article 121 de l’ordonnance 03/08 du 26 août 2003 pose deux principes différents bien qu’étroitement liés l’un à l’autre : L’octroi aux banques et aux établissements financiers du rang de créancier privilégié classé immédiatement après les travailleurs, le trésor public et les caisses de sécurité sociale d’une part et la possibilité d’exercer ce privilège sur tous biens, avoirs ou créances appartenant à leur débiteur, dés la notification de la saisie-arrêt par lettre recommandée avec accusé de réception à ce dernier d’autre part.
L’article 121 de loi pose donc le principe du privilège -assimilé, tous rangs gardés, à celui des travailleurs, du Trésor et de la sécurité sociale- et celui des modalités pratiques de sa mise en œuvre. Ces deux principes conjugués ont pour finalité de permettre aux Institutions susmentionnées de garantir le recouvrement de toute créance qui leur serait due en priorité et le plus rapidement possible. Selon les banquiers, cette disposition procède, donc, à la fois d’un souci de préférence et de célérité.
A l’appui de cette lecture de l’article en question, les banques avancent comme argument que le législateur a repris textuellement en la matière une disposition qui existait déjà dans la loi n° 86-12 du 19 août 1986 relative au régime des banques et du crédit (art. 53) qui leur a octroyé le même avantage. Bien plus, son fondement légal remonte à plus loin encore puisqu’il a été institué dans les ordonnances relatives aux statut de certaines banques publiques, à l’instar de l’ordonnance 67/78 du 11 mai 1967 relative aux statuts du CPA ( article 14).
Sous l’empire de ces textes, les tribunaux ne soulevaient aucune contestation quant à la faculté des banques de pratiquer des saisies-arrêts par lettres recommandées avec accusé de réception.
Tels que rédigés, les banquiers considèrent que le deuxième et troisième alinéa de l’article 121 perdraient leur signification concrète si leur portée devait se limiter à la simple notification d’une saisie-arrêt qui serait rendue au préalable par le juge ou pratiquée par un agent d’exécution sur la base d’un titre authentique en vertu des dispositions de l’article 355 du Code de procédures civiles. Lorsqu’une banque est en possession d’un titre authentique ou d’une saisie-arrêt judiciaire, la notification de la saisie au tiers débiteur ou détenteur par simple lettre au lieu d’un exploit d’huissier ne présente pas un intérêt majeur nécessitant un dispositif légal spécifique.
En effet, affirment nos argentiers, nul n’est besoin de prévoir par loi la possibilité de notifier un privilège légal par lettre recommandée à un tiers si ce n’est pour rendre les biens, avoirs ou créances du débiteur que ce tiers détient indisponibles. La notification prévus par l’article ne produit pas un simple effet d’information mais de mise des actifs appartenant au débiteur sous le contrôle de la justice, dans un premier temps et en attribuer le montant ou le produit de la vente aux enchères au créancier par la suite. Tout l’intérêt pratique et juridique de cette disposition est, donc, de permettre aux établissements de crédit le recouvrement de leurs créances rapidement et avant les autres créanciers privilégiés de moindre rang ou chirographaires. D’où ce double aspect du privilège accordé à ces établissements : Le rang et la faculté de saisir-arrêter les avoirs des débiteurs par simple lettre recommandée avec accusé de réception.
Pourquoi le législateur a-t-il accordé un tel privilège aux banques et aux établissements financiers? Les banquiers répondent que de par le caractère réglementé et rigoureusement contrôlé de leur profession d’une part et leur qualité de dépositaires de fonds du public d’autre part, les banques assurent une mission de « service public » en quelque sorte. C’est dans le souci de protéger les déposants et partant de l’ordre public que le législateur a voulu donner aux banques les moyens légaux idoines de recouvrer leurs créances par les voies les plus rapides et les plus efficaces.
En effet, la pratique a révélé le recours de plusieurs débiteurs de mauvaise foi à des manœuvres dilatoires voire même frauduleuses pour ne pas dire criminelles à l’effet de soustraire au remboursement des concours qui leur ont été accordés par les banques et les établissements financiers en détournant les crédits sur d’autres banques et disposer ainsi d’une trésorerie gratuite. La saisie-arrêt bancaire, permet justement, aux établissements de crédit de circonvenir à ses procédés indélicats par le blocage, dans un premier temps, puis la récupération par le biais
de la procédure d’attribution sinon de validation, des fonds détournés.
Quant à l’éventualité de l’usage abusif de cette faculté par les établissements de crédit, les banquiers rétorquent que la justice est là justement pour rétablir les droits et mettre un terme à ces abus lorsqu’ils se produisent en ordonnant la main-levée et, pourquoi pas ? en condamnant les établissements reconnus d’abus à dédommager le client pour le préjudice subi. A cet égard, les banques et les établissements financiers sont, en principe et dans un ordre normal des choses, des institutions solvables et en mesure de faire face à leurs obligations. Ce n’est malheureusement pas le cas de certaines clientèles indélicates qui recourent aux procédés déloyaux d’insolvabilités délibérées et organisées dont sont victimes de nombreux établissements de crédit.
Quelle solution ?
En dépit des nombreuses rencontres qui ont regroupé les banquiers et les magistrats pour débattre de problèmes de droit bancaire et financier, la question de la saisie-arrêt bancaire n’a pu être résolue et les points de vue restent partagés et mitigés. Certes, il est des juridictions qui admettent encore la validité de la saisie-arrêt pratiquée en vertu de l’article 121. Cependant, cette approche favorable aux banques risque de devenir de plus en plus minoritaire notamment suite à l’arrêt du 11 avril 2000, au demeurant contesté et contestable, de la Cour Suprême.
Aussi, nous estimons, qu’un amendement de l’article 121 au travers d’une formulation plus précise représente la solution la meilleure susceptible de mettre un terme à cette controverse.
A défaut, un arrêt de principe de la Cour Suprême, chambres réunies, est nécessaire, dans le cas où la haute juridiction est saisi d’un pourvoi en cassation en la matière et ce, conformément aux dispositions de l’article 23 de la loi n°89/22 du 12 décembre 1989 relative aux attributions, à l’organisation et au fonctionnement de la Cour suprême, s’agissant d’un cas susceptible de se traduire par un revirement de jurisprudence. En effet, l’arrêt du 11 avril ci-dessus évoqué vient contredire un autre arrêt datant du 06 décembre 1987 lequel a implicitement validé le principe de la saisie-arrêt bancaire pratiquée par simple lettre recommandée avec accusé de réception.
Dans le cas où l’interprétation restrictive de l’article 121 serait confirmée par la haute juridiction, nous pensons qu’il serait recommandable de circonscrire l’usage de la saisie-arrêt bancaire aux seules créances justifiées par des titres authentiques ou équivalents ( reconnaissance de dettes notariées adossées aux actes d’hypothèque, lettres de change, billets à ordre, chèques, jugements définitifs ….). Le droit de saisir-arrêter les avoirs ou les créances du débiteur tirerait alors son fondement du titre exécutoire et non de la seule qualité de créancier privilégié découlant du statut de Banque et d’établissement financier. Tout comme l’existence d’un titre exécutoire, permet à un créancier ordinaire de saisir-arrêter entre les mains d’un tiers ce que ce dernier doit à son propre débiteur et ce ,par simple exploit d’huissier sans autorisation préalable du juge ( article 355 du code de procédures civiles.),elle permet aussi à un établissement de crédit de pratiquer la saisie-arrêt et de la notifier directement par lettre recommandée avec accusé de réception sans recourir aux services d’un huissier de justice.
En attendant cette clarification de la volonté réelle du législateur en la matière où, à défaut, d’une jurisprudence constante -car un arrêt isolé est loin d’en constituer une-la communauté bancaire algérienne a décidé, au travers de son association professionnelle (ABEF), de maintenir le cap et de continuer à défendre son point de vue consistant à considérer la saisie-arrêt bancaire en tant que moyen de recouvrement forcé dont le fondement repose sur un droit spécial qui prime sur le droit commun. Cependant, une charte d’harmonisation de la pratique a été adoptée par consensus. Elle uniformise les modalités d’application, recommande la plus grande transparence et objectivité dans sa mise en oeuvre et consacre certains principes fondamentaux à même de prévenir les abus. Ainsi, les établissements de crédit ont été invités à adosser leurs crédits à un titre exécutoire ou considéré comme tel (au moins un billet à ordre). En outre, il a été rappelé que seuls les créances et avoirs disponibles en compte peuvent faire l’objet d’une saisie. Ainsi, le compte peut continuer de fonctionner normalement après cantonnement du montant disponible saisis.
Si la question reste d’actualité et le débat est loin d’être tranché, nos banquiers gardent , néanmoins, l’espoir que les derniers déboires qu’ont connus certaines banques de la place et les milliards de dinars, disparus dans la nature réhabiliteront un des fondements du droit commercial, à savoir, la protection des créanciers. S’agissant du droit bancaire cette protection n’est pas seulement nécessaire, elle est vitale.
Rétablir nos banques dans la plénitude de leurs capacités de recouvrement, c’est restaurer la confiance envers l’acteur incontournable de toute relance économique durable qu’est le système bancaire. D’aucuns y verraient des propos partisans et corporatistes. Peut-être bien ! Mais peut-on, objectivement, dans le contexte actuel, soutenir le contraire ?
HIDEUR NASSER
Juriste de banque
Président de commission des études juridiques et fiscales
De l’Association des Banques et des Etablissements financiers.